vendredi 11 septembre 2009

Au secours, je perds mon jeu

Les périodes de doutes sont très fréquentes au poker. Il y a des hauts et des bas plus ou moins longs, c’est ce qu’on appelle la variance. Cette variance est supposée désigner des résultats moins bons ou meilleurs que ceux que l’on aura en moyenne étant donné notre niveau de jeu moyen. Cependant, parfois, la variance n’est pas la seule explication. Un joueur qui avait l’habitude d’être gagnant devient perdant, ou a l’impression de stagner, de ne plus progresser. Dans le pire des cas, nous aurons même l’impression d’accumuler les erreurs et de ne plus savoir jouer. Quelles peuvent en être les raisons ? Comment retrouver de bonnes lignes de jeu sobres et efficaces ? Voici quelques points de réflexion qui peuvent expliquer une baisse de résultats autrement que par le sempiternel « Je run bad ».



Le joueur était il vraiment gagnant ?


La question est abrupte et dérangeante pour l’égo. Étais-je vraiment gagnant ? Sur quel échantillon ai-je fait mon estimation ? En cash game, il est souvent admis que tout échantillon inférieur à 10 000 mains n’est pas représentatif. En tournoi, l’échantillon minimum doit être de plusieurs centaines de tournois. Si l’estimation porte sur des estimations plus faibles, il n’est pas impossible que le joueur ait bénéficié d’une bonne période et que son estimation soit faussée.

Le joueur a-t-il pris en compte tous ses résultats ? Ne pas compter ses périodes de tilt pour calculer son winrate en cash game, ou ne pas compter cette série de 100 sit and go catastrophique sous prétexte que cette semaine là, le joueur était vraiment fatigué et n’aurait pas du jouer fausse évidemment la donne. Combien de périodes de tilt se produisent en 10 000 mains ? Combien de semaine par an cet autre joueur joue-t-il fatigué ?

Occulter ces mauvaises périodes consiste à évaluer le potentiel de son meilleur jeu, mais malheureusement, on ne joue pas son meilleur jeu en permanence. Ce peut d’ailleurs être un axe progression : essayer de jouer son meilleur jeu le plus souvent possible.

La montée de limite


Inévitablement, quand on monte de limite, on affronte des joueurs plus forts techniquement et mentalement. Et forcément, on gagne en général moins et moins souvent. De plus, le jeu peut être différent aux limites supérieures, et il faut un temps d'adaptation pour maîtriser de nouvelles subtilités techniques, ou encore pour s’apercevoir que certains enchaînements de mise n’ont plus la même signification, qu’il y a quelques pièges dans les range de nos adversaires, etc. En bref, il faut le temps de s’adapter. De plus, nos amis qui nous livraient 100bb en cash game sur un mauvais bluff, ou qui nous faisaient doubler régulièrement dans le premier niveau du Sit And Go se font de plus en rare. Il faut se battre pour chaque jeton, et la bataille est de plus en plus rude.



La modification de son jeu


Dans sa quête de progression, le joueur est amené à faire évoluer son jeu. Faut-il nécessairement essayer de devenir Loose Agressive en cash game short handed quand on est tout juste un joueur Tight Semi Agressif correct de Sit And go? Rien n'est moins sûr. Après la mise en place d'un jeu serré et prudent, qui souvent permet d'obtenir de bons résultats aux petites limites, le joueurs essaye d'élargir son jeu, et d'être plus agressif. Cette modification peut être compliquée. Elle demande une grande habileté dans le jeu postflop et la lecture des joueurs adverses. Une évolution LAG mal réalisée peut être catastrophique. Conséquence, au lieu de devenir LAG, le joueur devient plutôt l’ami de tous les réguliers. La portée des modifications dans son jeu est assez difficile à évaluer au poker. Chaque modification peut avoir des résultats trompeurs à court terme à cause de la variance, du timing, des joueurs ciblés. Modifier trop d’aspects de son jeu à la fois va rendre encore plus difficile l’appréciation de la qualité de chaque modification. Enfin, changer radicalement son jeu va modifier son image à la table, ce qui fait une chose de plus à laquelle s’adapter.

La poussée d'égo

Alors qu'au début le joueur novice redoutait et respectait tout le monde, et du coup évoluait avec beaucoup de prudence et de pondération, le joueur après quelques mois de succès peut se sentir pousser des ailes et décider qu'il est temps de commencer à raser les tables. Conséquence, il sur joue beaucoup de mains et s'empale régulièrement contre les monstres des autres joueurs qui continue de jouer leur jeu serré et patient. Une fréquence de bluff trop élevée, une sélection trop loose préflop, l’abandon du respect de la position ou encore arrêter de sélectionner ses parties peuvent être des erreurs fréquentes en cas d’excès de confiance.


Le tilt

Dans l’excellent « Poker Mindset », le tilt décrit tout état particulier ou le joueur ne joue pas son meilleur poker. Les raisons peuvent être très variées. Une des causes de tilt les plus répandues est le bad beat, mais aussi la réussite globale du joueur durant ses dernières sessions. Lorsque le joueur débute, il cherche tout d'abord à ne plus perdre d'argent. S'il atteint cet objectif, il va jouer de plus en plus sereinement. Il fait de moins en moins d'erreurs, et gagne de plus en plus. Du coup, il encaisse assez bien les bad beat. "Ça devait arriver". "C'est le poker". Le joueur s'émerveille de ne plus perdre et de monter petit à petit une bankroll. Dans la seconde phase, le joueur modifie son jeu, monte de limite, prend confiance et se donne des objectifs plus élevés. La modification de son jeu fait que cela se passe un peu moins bien. Il reperd peut être même un peu d'argent. En tout cas, il est loin de ses nouveaux objectifs. Dans cette situation, la frustration commence à grandir. Le joueur est beaucoup plus sensible aux bad beat. Le tilt n'est pas loin. Et si le tilt se déclare, c'est une spirale négative qui s'enchaîne. Pertes record, frustration grandissante, tilt plus violent, perte de confiance... En fait, la stagnation initiale n'est due au départ qu'à des erreurs dues à de mauvaises applications des nouveaux concepts appris d'une part, et au fait d'affronter de meilleurs joueurs d'autre part. Ensuite, le tilt fait le reste.


Se fixer des objectifs irréalistes ou à trop court terme.


Fort de quelques succès, et d'une bankroll naissante, le joueur commence à avoir de grands projets. Dans un mois une bankroll de telle valeur, puis montée de limite. Le joueur réajuste un peu le ROI ou le gain horaire à la baisse, puis remontée de limite, ... et dans « x » mois, le joueur se voit bien passer pro... Quel joueur dans une bonne période de réussite n'a jamais eu ce délire au moins l'espace d'un instant ? Avoir de l'ambition est une bonne chose. Mais le scénario catastrophe est aussi bien connu : La première montée de limite se passe bien, puis quelques difficultés dues aux meilleurs joueurs ou a une mauvaise passe surviennent. Le joueur prend un peu de retard sur son tableau de marche, force un peu et fait quelques erreurs. L'écart sur le planning se creuse, et le joueur se frustre. Dans cette période de frustration, il réagit mal à un ou deux bad beats classiques, et c’est parti pour un tilt en bonne et due forme. La bankroll y passe en partie ou en totalité et tout est à refaire.


Les cycles, les rushs, les bads runs existent, même si on ne peut que les constater après coup. Au poker, on ne choisit pas quand rentre l'argent à court terme. Se fixer des objectifs quantitatifs au niveau des résultats est un exercice périlleux. Ils sont parfois irréalistes, ou sans aucun sens sur une période trop courte. Ils peuvent causer beaucoup de dégâts sur la confiance et la motivation en cas d’échec. Ils nous détournent parfois de l’objectif lorsque l’on joue :

Qui sont ces joueurs ? Quel est leur style ? Quelles sont leurs erreurs ? Quelle est la bonne stratégie pour les battre ? Sont-ils stables ou changent-ils de stratégie et de rythme ? Quelles sont leurs habitudes quand ils sont forts et quand ils sont faibles ? Bluffent-ils ? A quelle fréquence ? Dans quelles conditions ? etc…


Le poker un est jeu de patience et un jeu d'erreurs. Les meilleurs sont les plus patients, ceux qui savent attendre les bonnes opportunités (et même les provoquer), et ceux qui font le moins d'erreur. Il m'arrive de temps en temps d'ouvrir une table de cash game à une limite au dessus de la mienne pour regarder. En général, cela n'a rien d'impressionnant. Le poker y est très semblable. Mais les joueurs qui y jouent sont souvent ceux qui faisaient le moins d'erreur à la limite inférieure, qui y ont accumulé suffisamment d'argent pour se construire une bankroll pour jouer à la limite du dessus. Et si de nouveau ils font moins d'erreurs que les autres joueurs à cette limite, ils pourront accumuler les $ et de nouveau monter de limite. Jusqu'à se confronter à une difficulté importante. Il n'y aura que deux issues : résoudre ces difficultés ou redescendre à la limite inférieure. Éventuellement, on peut voir une troisième alternative : monter de limite pour se refaire et se ruiner. :o)

Le joueur travaille-t-il son jeu ?

Les livres, les forums, les vidéos, les articles sur poker se multiplient. L’intérêt pour ce jeu a touché énormément de monde. Les débutants apprennent à jouer. Les meilleurs deviennent des joueurs gagnant régulièrement, se constituent une bankroll et progressent dans les limites. Les joueurs confirmés en font de même et les meilleurs passent professionnels. Tous ces nouveaux pros viennent grossir les circuits pro forts d’une expérience énorme acquise sur internet. A tous les niveaux de la pyramide, le niveau moyen augmente. Par conséquent, travailler son jeu est vital pour progresser, mais avant tout pour continuer à battre sa limite. Un joueur qui ne travaille pas un est un joueur qui régresse par rapport aux autres joueurs qui travaillent. A moins d’être particulièrement doué et brillant, jouer ne suffit pas. Il faut revoir ses parties, comprendre ses erreurs et ses points forts. Il faut améliorer ses connaissances théoriques du jeu. Il faut étudier la façon de jouer des autres joueurs, et mettre en place une stratégie pour les battre. Le poker est un jeu d’adaptation. Il n’y a pas de recette miracle. Il n’y a que des façons de jouer qui donnent des résultats plus ou moins bons en fonction des joueurs contre lesquels on joue.

Le jeu multitable, attention

Un des gros avantages du jeu online par rapport au jeu live est le nombre de mains et de parties nettement plus important que l’on peut jouer dans un même laps de temps. Se mettre à jouer plusieurs tables doit néanmoins être une décision murement réfléchie. Lorsque l’on joue plusieurs tables, nos capacités d’attention sont réparties sur les différentes tables. Plus il y a de tables, moins on a de temps pour étudier chaque joueur et chaque coup joué. Cela parait évident, mais les conséquences ne sont pas négligeables. Toutes les informations que le joueur perd lui fond perdre également de son avantage sur les autres joueurs. Battre une limite en jouant une table ne signifiera pas battre cette limite en jouant 4 ou 6 tables. Il faut bien identifier d’où provient son avantage à la table. Si notre avantage provient de notre façon de jouer (sélection de mains preflop, agressivité en fin de Sngo, …) et ne dépend que peu de notre observation de la table, notre avantage va peu diminuer en jouant plusieurs tables. Si notre avantage provient pour beaucoup de notre connaissance des joueurs, de notre observation de leur façon de jouer et de nos lectures, nous allons perdre beaucoup de cet avantage en passant à plusieurs tables. Le jeu multitable est souvent un jeu automatique et mécanique. Pour y être gagnant, il faut être sûr que l’on a une méthode qui fonctionne bien en moyenne contre l’ensemble des joueurs de cette limite.

Par ailleurs, le jeu multitable permet peu de faire progresser son jeu. Il est moins ludique. C’est un peu comme aller à l’usine pour faire du travail a la chaîne. Jouer plusieurs tables à la fois doit être l’aboutissement d’un travail préparatoire sur la limite que nous essayons de battre. Il doit permettre de rentabiliser un avantage que nous avons prouvé sur la limite en question. Il faut entrecouper le jeu multitable de séances de travail pour faire progresser son jeu, et éviter de se mettre à multitabler à une limite que l’on ne connait pas. Si les profits sont multipliés par le nombre de tables, les pertes et les erreurs aussi.

La sélection des parties / le ciblage des joueurs :

Au poker, on ne gagne sur le long terme que lorsque l’on est meilleur que ses adversaires. On n’est jamais bon ou mauvais dans l’absolu. On est meilleur que ces joueurs, et moins bons que ces autres joueurs. Cette constatation doit conduire à une réflexion sur les tables auxquelles on s’assoit, qu’elles soient réelles ou virtuelles. Ce tournoi ou cette table de cash game est elle profitable pour moi ? Suis-je meilleur que la moyenne des joueurs ? Suis-je capable de dégager un profit de ces parties ? La réponse n’est pas toujours évidente à priori. Mais en se posant régulièrement la question pendant et après une partie, nous saurons nous faire une idée de plus en plus précise de la réponse.

Une fois que l’on est à table, le même processus peut être mis en place. Quels sont les joueurs qui sont faibles, quels sont ceux qui sont forts ? Cibler les joueurs à jouer et à isoler et ceux à éviter doit immanquablement nous aider à monter des jetons en tournoi, et à gagner de l’argent en cash game. Cette observation des joueurs, même si elle ne permet pas immédiatement de dire s’ils sont forts ou faibles vous apportera peut être des informations concrètes exploitables. Ce joueur ne défend pas ses blindes, je vais l’attaquer plus souvent avec rien. Ce joueur joue beaucoup de coups avec des mains médiocres et n’essaye pas de voler les pots : je vais essayer de l’isoler régulièrement. Ce joueur relance très fréquemment en fin de position et passe sur des sur relance : c’est une cible intéressante à sur relancer avec des mains faibles. Etc…

Si vous aviez l’habitude de gagner à des limites plus basses sans vous poser ce genre de questions, ce sont des considérations à prendre en compte quand les parties deviennent plus difficiles.

Quand les difficultés surviennent, que la confiance s'en va et que le doute s'installe, il est sans doute temps de faire une pause et de prendre du recul. Pourquoi je gagnais avant et pourquoi je ne gagne plus ? Qu'ai je changé dans mon jeu ? Qu'est ce qui a changé dans le jeu de mes adversaires ? Qui sont d'ailleurs mes adversaires ? Comment faire pour les battre? Qu'est ce qui manque à mon jeu pour gagner? C'est sans doute à ce prix que le joueur dans le doute retrouvera le chemin de la victoire.

3 commentaires:

Zizanbrook a dit…

Excellent, comme toujours, Alex...

Teamvtc a dit…

Gg, simple, propre et juste...

Un article dans la lignée de tes précédents ! good job !

Sly_efp a dit…

Bon article, bien écrit, clair, pertinent.
Je vais m'attarder sur ton blog que je viens de découvrir.
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